27. août, 2016

"Elle portait un Manteau Rouge" de P. CREVOISIER (CH)

 « La violence a plusieurs visages »

Par le biais d’un roman ficelé avec brio, Pierre Crevoisier parle de sujets actuels et bouleversants tel que la violence familiale ou l’amour passionnel destructeur. Au premier plan, il y relate la vie de famille chaotique d’une petite fille battue par son père, dont la mère subissant le même sort depuis tant d’année, n’a plus la capacité de défendre ses rejetons. En alternance, il nous projette dans la vie d’un homme tombé fou amoureux d’un ange qui se veut plus « déchu » qu’« élu », l’entraînant dans une chute dont il ne se relèvera pas.

Mais en arrière-plan, bien plus parlant et percutant à mon sens, il met en lumière les dommages que la violence peut engendrer dans la vie d’autrui. Elle est sournoise, s’installe sans y être invitée, s’immisce, forçant le chemin jusqu’à gangrener l’âme même de celle qui l’a subi. Elle enfante alors une victime, parfois aussi abjecte que son créateur, soufflant autour d’elle un périmètre où la peur tétanise quiconque aurait l’audace de crier « Aux Armes ! »

Je vous ai choisi ci-dessous deux extraits. Ils vous donneront ainsi une idée du contenu. Le style romanesque est fluide, agréable et captivant, ce qui permet une immersion totale et rapide. Néanmoins, la violence telle que décrite dans certain passage ; authentique et parfois crue, pourrait ne pas plaire à tout le monde. Pour ma part, même si ce n’est pas mon répertoire habituel, c’est précisément la mise en évidence qui m’a touchée. Osez les mots pour décrire l’indicible !

Premier coup au cadet...

« La porte s’ouvre avec fracas et, en dépit du soleil, là-bas, de l’autre côté, malgré les fenêtres largement ouvertes sur un été de chaleur pesante, le soir prend des airs de nuit. Son père est entré…

…Quelques secondes s’écoulent avant que son frère débouche de la droite, marionnette vivace dont les ressorts sont encore intacts. Il crie le nom de son père et se précipite vers lui. Micha est le seul être encore épargné de la famille. Cette grâce va s’interrompre…

…Elle (Agatha) voit le pied gauche du paternel former un appui, pivoter insensiblement au moment où le droit se soulève de terre, imprime un léger recul, comme une arme chargée, balaie l’air en arc de cercle pour heurter l’enfant à la hauteur de la hanche, le projetant brusquement contre le meuble du vestibule tel un clown désarticulé.

…Aussi loin qu’elle s’en souviendra plus tard, son petit frère s’est éteint ce jour-là … »

Cet extrait m'a frappée de plein fouet ! Quand la gratuité d'un geste engendre le basculement d'une vie.

Jacques raconte dans son journal...

« Samedi 1er août

Je suis fasciné par sa manière de souffler le chaud et le froid sur nos vies. Je recherche le moment et la raison de la bascule, l’instant où nous avons touché l’iceberg qui nous déchire le flanc, la rencontre du malheur par inadvertance. Je ne trouve pas. L’épisode des bijoux me hante encore. J’ai plusieurs fois tenté d’y revenir pour y déceler l’incohérence. Anna a refusé tout dialogue à ce sujet, sauf à m’entendre enfin avouer un délit que je n’ai pourtant pas commis. Le soupçon du mensonge renforce encore le larcin. Je dois être fourbe pour cumuler l’acte et son déni. A moins d’un coup de folie, égaré dans ma vie, ai-je été jusqu’à commettre un acte dont je ne me souviens pas ? J’ai beau être certain, un doute s’est infiltré et lézarde mon assurance. Il suffit qu’elle le croit pour que cela soit. »

La crédulité d'un coeur ensorcelé par la force persuasive d'une manipulation amoureuse. Déconcertant !

 


L'auteur

Pierre Crevoisier est un auteur suisse, né le 20 février 1960. Son parcours professionnel ne manque pas de piquant et lui a permis d’avoir à son actif de multiples casquettes dont journaliste, marin, enseignant et auteur. Il édite son premier roman en 2013, "Elle portait un manteau rouge" publié chez TARMA et nous offre cette année « Mes trous de mémoire », un recueil de nouvelles que vous trouverez aux éditions SLATKINE.