20. déc., 2016

"Le bâtiment de pierre" de Asli ERDOGAN (TR)

« Se suffisant à lui-même, il n’a de beauté que son pareil »

On pourrait imaginer que critiquer ce livre serait présomptueux tant il regorge de puissance et de force mais au contraire, je crois que c’est un honneur de pouvoir en parler librement dans un pays où le despotisme n’a pas encore pris racine. Dans cette oeuvre, l'auteure y a inscrit ceci : « Si l’on veut écrire, on doit le faire avec son corps nu et vulnérable sous la peau... » - p. 9. Qu'il en soit ainsi, ici.

À lui tout seul, ce livre m'a transportée dans « L’aube d’un jour nouveau ». Il m'a transpercée de sa lumière, rendant à mes yeux la vérité sur « Le bâtiment de pierre ».

« En cheminant dans les méandres désertes du bâtiment de pierre, au long des couloirs secrets enfouis dans une pénombre bleutée, en franchissant des portes qui s’ouvrent et se referment promptement, sans retour possible, comme des tourniquets, tu atteins le cœur du labyrinthe. Un cœur vaste, bien réel, dur comme un coup de poing... » - p. 53

Des phrases, dont la profondeur est telle, qu’elles m’ont plongée inconsciemment dans un gouffre. Dans cette œuvre, toutes formes prennent vie. J’ai lu un mot, un paragraphe, un chapitre et j’y ai découvert « leur VIE », d’un phrasé bouleversant, puissant, ineffable ! Ces mots, choisis avec justesse par le passé, ont raisonné en moi comme l’écho, présent d’une décadence turque. À mon insu, ils ont cheminé jusqu’à mon cœur. Sans crier gare, ils l’ont traversé de part en part jusqu'à atteindre les tréfonds de mon âme et là, me faire sombrer...

J’ai levé mes yeux et j’ai réalisé alors que mes larmes coulaient. La souffrance que j’ai ressentie provenait d’un puits de tristesse insondable. Mes pensées se sont envolées, mon esprit a rejoint Asli et ses compagnons « d’infortune », réalisant soudainement que leurs chaînes devenaient miennes. Un souffle de révolte s’est alors levé en moi, criant à l’ignominie, à l’injustice ! Il m’était inconcevable d’imaginer que des êtres humains pouvaient vivre cela et encore moins l’auteure de ces mots !

L'oppression, la répression, la maltraitance, la tristesse, l’abandon, la solitude ! Cette œuvre est un cri actuel qui jaillit des entrailles du passé. Nul n’aurait pu prédire que ce livre, édité en 2009, « décrirait » les affres quotidiennes des intellectuels turcs soumis à l’autocratie du président Recep T. Erdogan ! L’auteure y dénonce la maltraitance des prisonniers en Turquie, les souffrances physiques et psychiques supportées, les séquelles indélébiles d’une vie dans « Le bâtiment de pierre ». Le protagoniste « A. », refléterait-il la face cachée de chacun d’entre eux, ou d’entre elles ? …

Sans n’avoir jamais cessé d’élever sa voix pour la liberté de son peuple...gardant foi au droit fondamental de la liberté d’expression... Le 16 août dernier, Asli Erdogan a été enfermée ainsi qu’env. 200 autres intellectuels – je dirais « ostracisés » ! - à la prison de Bakirköy à Istanbul. Ils sont accusés de terrorisme ou de conseillers et conseillères de journaux Pro-Kurde alors qu’au fond, ils n’ont fait que dénoncer le soulèvement d’un gouvernement radical et dictatorial !

Je sais d’avance que mes mots n’auront jamais assez de poids pour vous décrire avec exactitude la force de cette œuvre et l’ampleur qu’elle a pris par l’actualité de cette fin d’année. L’action lancée par l'association La Maison Eclose et soutenue par Amnesty International intitulée « Lire pour qu’elle soit libre », m’a permis de découvrir cette romancière, cette journaliste et de m’engager auprès d’elle, d’eux, dans un esprit de solidarité en prêtant ma voix, comme tant d'autres. Asli Erdogan est à jamais inscrite dans ma mémoire comme une femme dévouée et consacrée aux droits de l’Homme et à la liberté des médias dans son pays.

D’un langage recherché, raffiné et poétique, cette œuvre est colossale ! Mélangeant les figures de style et les procédés littéraires, pas une seule fois les mots sont inappropriés ou semblent impropres. Les strates sont maîtrisées à la perfection, permettant ainsi au lecteur d’aborder cette lecture dans un niveau qui lui convient afin d’en tirer « l’essence-ciel ».

Tourner les pages de ce livre, c'est déployer les ailes de cet ange nommé « A. » en lui donnant VIE une fois de plus...

« A. n’a jamais pu terminer son histoire, les cercles de l’enfer sont plus sinueux que la vie de l’homme... Tandis que les jours passaient, que les saisons se succédaient, il a tracé dans l’orbite du bâtiment de pierre des cercles qui, tour à tour, s’élargissaient et se rétrécissaient. Il a marché, marché, marché sans relâche, jusqu’à tomber sur les dalles, épuisé de fatigue. Sur les chemins de la vie et les rivages de la mort. Il est resté, tel un rouleau de parchemin froissé, devant les ports qu’il n’a jamais été autorisé à franchir, tout tremblant de froid, dans la boue et les traces d’urine...Il a raconté... » - p. 19

 


L'auteure

Aslı Erdoğan et née le 8 mars 1967 en Turquie. Romancière et journaliste, elle milite depuis des années pour les droits de l'Homme, ceux à l'enseignement du peuple Kurde et la création d'un parti politique légal.

Le 17 août 2016, après la tentative de coup d'Etat du PKK, elle a été emprisonnée avec ses collaborateurs du journal Özgür Günden, à la prison de Bakirköy d'Istanbul, après avoir été accusée d'appartenir à une organisation terroriste. Non violente mais élevant sa voix pour dénoncer la libérté publique et politique non respectée, elle a écrit une première missive intitulée "Lettre grave et nécessaire", publiée sur son blog (lien via Blogs des auteurs) quelques jours avant son arrestation.

En récompense à sa lutte pour la paix et la liberté de la presse dans des conditions difficiles, le PEN Club de Suède lui a décerné le prix Tucholsky en 2016.

Aujourd'hui encore emprisonnée, elle est soutenue par une multitude d'associations et de personnes (auteurs, journalistes, lecteurs, libraires, etc...). En suisse, l'association La Maison Eclose a mis en place, avec le soutient d'Amnesty International, une action solidaire durant ce mois de décembre intitulée "Lire pour qu'elle soit libre". Vous y trouverez toutes les informations via Associations et www.amnesty.ch.

Bibliographie

Le Mandarin miraculeux (Mucizevi Mandarin), 1996.

La Ville dont la cape est rouge (Kırmızı Pelerinli Kent), 1998.

Les Oiseaux de bois (Tahta Kuşlar), traduit en 9 langues, traduction française par Jean Descat, Actes Sud, 2009.

Je t'interpelle dans la nuit (Gecede Sana Sesleniyorum) traduction française par Esin Soysal-Dauvergne, Verdier/Meet, 2009.

Le Bâtiment de pierre (Taş Bina ve Diğerleri), traduction française par Jean Descat, Actes Sud, 2013.

Extraits de ses textes via Vidéothèque

Commentaires

10.01.2017 12:30

Tonton mayo

Je suis entrain de relire ton commentaire,pas mal ma pupuce continue t,es sur la bonne voie des grands critiques litteraires de langue francaise avec Zola, victor Hugo, jean d, O je t,adore ma puce